CSDHI – Un souvenir de prison l’accompagnera jusqu’au bout, celui de sa compagne de cellule Shirine Alam-Houli, jeune détenue politique kurde de 28 ans, que l’on emmène à la potence en Iran. Elle, c’est Chabnam Madadzadeh qui a passé cinq ans dans les geôles des mollahs de 2009 à 2014.
Désormais en sécurité à l’étranger, elle a retrouvé son frère Farzad Madadzadeh, arrêté en même temps qu’elle, et qui lui aussi est resté cinq ans derrière les barreaux où il a été torturé sous les yeux de sa sœur.
Invitée au 21e marathon de soutien à la chaine satellite d’opposition Simaye Azadi le 14 janvier, Chabnam raconte le dernier soir passé avec Shirine Alam-Houli (à gauche sur la photo) avant sa pendaison le 9 mai 2010.
« Je garde en mémoire chaque instant du soir de son exécution, raconte-t-elle. C’était des moments très durs. Pour ma génération, ces scènes de départ vers la potence étaient des récits des prisonniers politiques, des témoignages. Or cela devenait tout à coup une réalité. Toutes les filles de la section sont restées éveillées jusqu’au matin.
Nos regards parlaient
« Quand ils sont venus à l’aube la chercher, personne n’osait prononcer un mot, c’étaient nos regards qui parlaient. Nous lisions dans les yeux des unes et des autres que nous ne la reverrions plus. Ils l’ont emmenée et la porte s’est refermée sur elle. On savait qu’ils allaient l’exécuter mais on ne voulait pas l’admettre.
« Jusqu’à la pointe du jour personne n’a dormi, même dans la section des prisonnières de droit commun parce qu’elles aimaient toutes beaucoup Shirine qui bénéficiait d’une belle image dans la prison.
« A l’heure de la prière du matin, tous les regards étaient noyés de larmes. Alors à ce moment j’ai pensé aux prisonniers politiques des années 1980 qui partaient par centaines au peloton d’exécution. Celles qui restaient, comment géraient-elles ces couches de souffrances qui étouffaient l’âme et le corps?
« Moi je souffrais parce qu’ils avaient emmené à la mort une de mes compagnes de cellule. Mais à l’époque, quand il ne restait dans les sections qu’une poignée de prisonniers sur des centaines … C’est là qu’à travers ma peine, j’ai compris le sens de la douleur, des larmes et des âmes tourmentées, dont on parle tant dans les livres de souvenirs.
Nous avons perdu les meilleurs d’entre nous
« Oui le régime fait cela pour créer un climat de terreur. Mais de ce moment-là est né en moi un engagement, celui de résister encore plus pour éradiquer cette dictature qui exécute des innocents, pas seulement maintenant, mais depuis 38 ans. Nous avons perdu les meilleurs d’entre nous, ceux que nous n’avons pas connus mais dont on nous a raconté la vie, sur lesquels nous avons lu. Moi j’ai vu tout cela avec Chirine, et dans les larmes et la peine, j’ai pris la responsabilité d’être toujours leur voix, l’écho de leur voix, l’écho de cette innocence et de n’épargner aucun effort pour renverser ce régime. »