The Wall Street Journal, le 19 septembre 2017, Par Shabnam Madadzadeh – Un mémorial aux victimes du massacre de 1988 en Iran exposé au siège européen des Nations Unies à Genève, le 15 septembre.
Lorsque le président iranien Hassan Rohani parlait aux Nations Unies, mercredi, je réfléchissais aux événements de 1988 que le régime a essayé d’effacer de l’histoire. À l’école, nos leçons ne comportaient aucune référence de cet été ensanglanté. Mais j’ai entendu une histoire de première main en 2012 de Maryam Akbari Monfared alors que nous étions toutes deux détenues dans la prison d’Evine de Téhéran à cause de nos activités politiques.
« Ils ont apporté les affaires de mon frère : un sac contenant ses vêtements, ensanglantés et déchirés en raison des tortures subies », je me souviens de ce que Mme Akbari a dit. « Je n’oublierai jamais ce moment. Mes parents étaient allés lui rendre visite, et a la place sont revenus avec ses effets. Aucun d’eux ne pouvait parler. Comme s’ils n’avaient pas de mots pour décrire cette scène horrible. « En 1988, son frère était prisonnier depuis huit ans. Elle a dit qu’il avait été arrêté à l’âge de 17 ans pour avoir distribué les journaux de l’opposition, les Moudjahidine du peuple d’Iran ou MEK.
Le regard de Mme Akbari nous transmettait toute la scène : la mère et le père lugubres, sans cadavres pour l’enterrer et une tombe pour pleurer. « Nous ne laisserons pas cela tomber dans l’oubli », a-t-elle murmuré.
Je suis une activiste politique iranienne. En 2009, en tant qu’étudiante universitaire de 21 ans, j’ai été arrêtée car on me suspectait d’être une sympathisante de l’opposition. Pendant cinq ans, j’ai langui en prison, trois mois en isolement cellulaire. Deux ans après avoir été libérée en 2014, je suis sortie clandestinement hors du pays grâce au MEK.
Bien que le régime ait essayé de forcer les Iraniens à oublier l’année 1988, les crimes commis étaient si gigantesques que cela était impossible. Environ 30 000 personnes, principalement des militants du MEK, ont été exécutés. Leurs « procès ne duraient » généralement que quelques minutes.
Comment leurs familles pourraient-elles oublier ? Avant mon arrestation, j’ai rencontré une jeune femme dont l’oncle a été exécuté cet été-là. « À ce jour, je me souviens qu’elle me disait : toute ma famille résiste à chaque fois dans le respect dès son nom est mentionné. Mon oncle était le plus humain des hommes ».
Les sites de sépulture en masse de 1988 restent largement inconnus et le public n’a pas le droit de visiter ceux qui ont été découverts, comme ceux de la région de Khavaran à Téhéran. Néanmoins, les mères et les pères, soeurs et frères l’ont quand même fait depuis 29 ans.
Le massacre a donné un exemple de la cruauté des dirigeants iraniens, dont beaucoup sont toujours au pouvoir aujourd’hui. Mostafa Pourmohammadi, ministre de la justice, lors du premier mandat du président Rohani, a été membre de la « commission de la mort » en 1988 à Téhéran. L’actuel ministre de la justice, Alireza Avayi, faisait partie de la « commission de la mort » dans la province du sud-ouest du Khouzistan.
Malgré les efforts du régime, les tabous sur l’évocation du massacre se sont peu à peu affaiblis grâce aux jeunes qui n’étaient même pas nés en 1988. Conformément à un appel de Maryam Rajavi, la Présidente du Conseil national de la Résistance iranienne (un groupe affilié au MEK), les gens à travers le pays écrivent, parlent et posent des questions au sujet de cet été ensanglanté. Les familles qui sont restées silencieuses, de peur des représailles, ont commencé à discuter des victimes et à révéler l’emplacement des tombes secrètes.
Ce mouvement social a pris de l’ampleur l’année dernière lorsqu’un fichier audio est apparu lors d’une réunion de 1988 entre la « commission de la mort » de Tehran et Hossein-Ali Montazeri, qui était alors l’héritier du Guide suprême de l’Iran. Montazeri a dénoncé ce qu’il a appelé les pires crimes du régime, en informant les auteurs qu’ils entreraient dans l’histoire comme des meurtriers.
Les demandes du peuple iranien sont simples : briser le silence et arrêter de refuser d’admettre les atrocités des mollahs. Parler d’une nouvelle ère à Téhéran ne pourra être pris au sérieux que lorsque les ayatollah seront tenus pour responsables. La première étape consiste à établir une enquête internationale indépendante sur le massacre de 1988 afin de traduire les auteurs en justice.
Mme Madadzadeh est une militante politique et une ancienne prisonnière politique en Iran.